3.1.07

La poésie parle toujours en faveur de la vie.

On raconte que Mandelstam, dans le camp où il a passé ses dernières années, aurait récité des poèmes de Pétrarque aux autres prisonniers. Dieu sait qu'il n'y a rien de plus éloigné que Pétrarque d'un camp de prisonniers russes. Mais la poésie dans ce cas, c'était un peu comme la goutte d'eau pour un homme qui marche dans le désert, quelque chose qui tout à coup prend un poids infini et vous aide à traverser le pire. J'ai été très frappé que Chalamov, qui a vécu dans la Kolyma, ait dit de la poésie qu'elle avait été sa forteresse, et non pas du tout son échappatoire.


Mais la merveille extrême, celle capable de susciter, paradoxalement sinon scandaleusement, une espèce de joie sourde, timide et tout de même puissante, ç'avait été à coup sûr les paroles, elles-mêmes une autre espèce de fleurs et de flocons, qui s'étaient élevées, avaient fleuri, avaient flotté quelques instants à mi-hauteur entre terre et ciel, [...] et c'était elles, oui, décidément, qui avaient gagné, ce matin-là, le temps de ce matin-là, sur le vide.


Philippe Jaccottet