9.12.06


Corot, La Cathédrale de Chartres

Elle essayait de ruser et sinon d’éliminer entièrement la banalité commerciale, du moins de la réduire, d’y substituer pour la plus grande partie de l’art encore, d’y introduire comme plusieures «épaisseurs» d’art: au lieu de photographies de la Cathédrale de Chartres, des Grandes Eaux de Saint-Cloud, du Vésuve, elle se renseignait auprès de Swann si quelque grand peintre ne les avait pas représentés, et préférait me donner des photographies de la Cathédrale de Chartres par Corot, des Grandes Eaux de Saint-Cloud par Hubert Robert, du Vésuve par Turner, ce qui faisait un degré d’art de plus. Mais si le photographe avait été écarté de la représentation du chef-d’œuvre ou de la nature et remplacé par un grand artiste, il reprenait ses droits pour reproduire cette interprétation même. Arrivée à l’échéance de la vulgarité, ma grand’mère tâchait de la reculer encore. Elle demandait à Swann si l’œuvre n’avait pas été gravée, préférant, quand c’était possible, des gravures anciennes et ayant encore un intérêt au delà d’elles-mêmes, par exemple celles qui représentent un chef-d’œuvre dans un état où nous ne pouvons plus le voir aujourd’hui (comme la gravure de la Cène de Léonard avant sa dégradation, par Morgan).

Marcel Proust, Du côté de chez Swann